Culture

« L’Histoire de Souleymane », dans la peau d’un livreur sans papiers

Après avoir tourné en Afrique « Hope » et « Camille », Boris Lojkine pose sa caméra à Paris pour filmer le quotidien d’un forçat de la livraison de repas en attente de régularisation. Un récit haletant, qui a reçu le Prix du jury, à Cannes, dans la catégorie Un certain regard.Non sans prendre de risques, ils dévalent les rues de Paris à vélo et frappent à la porte de six Français sur dix chaque semaine pour livrer des repas commandés par le biais d’une application. « Eux », ce sont principalement des Guinéens et des Ivoiriens. « Les immigrés arrivés en France depuis plus longtemps, souvent des Sénégalais et des Maliens, ont d’autres réseaux de solidarité, qui fonctionnent autrement, glisse Boris Lojkine, qui a travaillé sur l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest pour les besoins de ses précédents films, Hope (2014) et Camille (2019). Ce sont les communautés installées plus récemment en France qui font ce travail, certainement le plus difficile », observe-t-il.

La dramaturgie de la demande d’asile

Le réalisateur français a passé des semaines aux côtés de ces forçats de la livraison de repas à domicile pour nourrir son troisième long-métrage, L’Histoire de Souleymane. Bien qu’extrêmement réaliste et proche de l’enquête sociologique, ce récit qui prend aux tripes est bien l’histoire d’un homme avant d’être celle d’un groupe, ainsi que les médias ont tendance à présenter les choses. La caméra de Lojkine s’attarde sur un jeune Guinéen sans papiers, que joue Abou Sangare, un acteur non professionnel, impressionnant de justesse à l’écran, lui-même en attente de régularisation dans la « vraie vie».« Un film, c’est d’abord une histoire, et une histoire, c’est d’abord un personnage. Cette histoire revêt évidemment une dimension politique, car elle rend visibles ceux qui sont invisibles et donne une voix à ceux qui n’en ont pas. Mais il y a aussi une dimension cinématographique. Car filmer un vélo qui traverse la ville, c’est génial, s’enthousiasme cet agrégé de philosophie. Ce film est tout le temps en mouvement, dans la course. On est en apnée et toujours collés à Souleymane, qui, lui, est toujours dans l’urgence. »

La politique d’accueil de la France

Aussi endurant que bouleversant, le protagoniste nous embarque en effet dans une double course contre la montre. Il file sur son vélo électrique dans les dédales de la capitale pour livrer ses repas à temps et éviter d’être radié de l’application qu’il utilise sous l’identité d’un autre. Et il a seulement deux jours pour mémoriser une histoire qui n’est pas la sienne et qu’il devra réciter à l’occasion de son entretien avec les services de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Un petit numéro qu’il prépare entre chaque livraison, sans jamais reprendre souffle, dans l’espoir d’obtenir l’asile.« C’est en rencontrant tous ces livreurs que j’ai compris que la grande question qui les habitait tous était celle des papiers, car nombre d’entre eux sont clandestins. Toute la dramaturgie du film repose sur cette demande d’asile, relève le cinéaste. Tu obtiens l’asile et ta vie change ; tu ne l’obtiens pas et tu restes dans la même merde. Il me semble important qu’un spectateur français, ou issu d’un autre pays d’Europe, vive cette expérience en immersion avec Souleymane, de manière très intense. Cela étant, le film n’a rien de militant. Je ne suis pas un politicien. »

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